Interprétation de la Musique dans La grande Illusion, Renoir

Publié le par -Critik aléatoire d'un certain cinéma-

La Grande Illusion dépeint la première Guerre Mondiale sous une philosophie humaniste et pacifiste. Où la guerre ne se dévoile jamais au complet mais par des indices de narration. Ce film se pose dans le paysage cinématographique de Renoir comme un franc succès et un plaidoyer pour l'Homme. G. Sadoul décrit Renoir comme un cinéastre d'un certain « inventaire social de notre temps », ce qui le confirme avec La Grande Illusion.
L'histoire de la capture du lieutenant Maréchal, et de son Capitaine de Boeldieu, par l'armée allemande, amène les deux hommes dans un camp de prisonnier. La rencontre de leurs compagnons de cellule sera le point de départ de futurs évasions.
Sous le sujet de la première Guerre Mondiale, on nous montre un univers où cohabite, et coéxiste, deux mondes, deux nations, aux doctrines différentes. Un univers humaniste où l'on « peut faire la guerre poliment », comme le souligne le Capitaine de Boeldieu, redorant ainsi le blason de l'Homme. Les soldats allemands deviennent de bons bougres, compatissant et les français « des soldats qui jouent aux enfants ».
Cet esprit patriotique, mais aussi fraternelle, est un thème cher en cette époque. En effet, nous sommes en 1937 lorsque Renoir réalise ce film, c'est-à-dire à la vielle de la seconde Guerre Mondiale. Hitler et Mussolini sont depuis plusieurs années en place dans leur pays respectif, le climat social en France est maussade, dû à la pause du Front Populaire et à la futur démission de Léon Blum. Les premiers bombardements d'Hitler ont fais rage en Espagne et on indigné un partie des « européens ». L'ambiance générale est tendue, la tension entre les peuples est de plus en plus vive. C'est un film marqué par l'Histoire.
Dans le film, la guerre y est toujours présente, de par la mise en scène, les décors, les sons, et la narration; mais elle y est toujours absente car nous ne voyons jamais à l'écran la dure réalité qu'elle évoque. L'ensemble du film part de cette perspective, et la met en valeur sans cesse. Renoir a choisi de nous faire entendre la guerre par les dialogues, les sons et la musique.
Nous ignorons habituellement une grande partie des sons qui nous entourent; c’est d’abord par la vue  que nous sommes informés de notre environnement, les bruits et les voix ne constituant souvent qu’une sorte de fond de notre perception visuelle. Nous parlons de « regarder » ou de « voir » un film, nous nous désignons comme des spectateurs de cinéma. Avec ces expressions nous accordons à la bande sonore un rôle secondaire. Le son devient un simple accompagnement d’images en mouvements.
Selon David Bordwell et Kristin Thompson « il est impossible de faire un « arrêt sur son », comme on pourrait le faire sur une image, pour en étudier sa composition, sa mise en scène, son cadre… De même qu’il est difficile de reconstituer la composition de la bande son comme on peut reconstitue le montage d’une série de plans. Son caractère insaisissable participe à un effet puissant sur le film ».
A partir de cette perspective, il sera intéressant de comprendre son rôle et ses différentes utilisations. Comment la musique s’implique telle dans le film? Puisqu’elle influence notre perception et notre interprétation des images. On pourra dès lors commencer à trouver des traductions éclectiques de son exploitation.

   Joseph Kosma, le compositeur de La grande Illusion, est un musicien mélodique, dont le style personnel s’inspire d’une très grande diversité. Ses préférences se tournent surtout vers des mélodies élégiaques.
" Ses collaborations à l’art cinématographique (dés 1936) lui permettront de développer ses théories sur la musique engagée, en ce sens que, pour lui, la partition d’un film doit être autre chose qu’un simple accompagnement divertissant ".
Kosma sera un des musiciens qui essayèrent de doter d’une véritable identité musicale posée en complémentarité ou en parallélisme au film. Il impliquera son expérience des variétés de Cabaret aux rengaines de l’écran, désincarnant le classique schéma couplet / refrain au profit d’une liberté des textes et d’une texture instrumentale.
Les réalisateurs de l’époque, grands et moins grands, ont puisé dans le répertoire de la chanson, pour enrichir leurs films d’une sensibilité et d’une dimension nouvelles. Renoir et Kosma travaillent en étroite collaboration pour s’efforcer de garder à l’intérieur de l’esthétique du film, une cohérence.
Même si la musique reste un moyen d’expression, elle est aussi une manière de révéler certains attraits des personnages, parfois elle peut anticiper certains évènements du récit. Dans ses premiers films parlant, Renoir prend le parti de montrer la cause matérielle, de la musique entendue, justifiée par une action.
     Le premier plan du film se fait sur un phonographe. Maréchal le mettant en route et fredonnant l’air de “Frou-Frou”. Cela nous donne un premier indice, il resitue le contexte du film dans son époque.
La chanson décrit la vision masculine et enrubannée de la femme, objet de désir et de séduction, cette chanson est aussi teintée de nostalgie. Avec l'évocation de la culotte et de la bicyclette, on y sent poindre l'émancipation du corps féminin. “Frou-Frou” condense toute la mythologie de la Belle Epoque. La dimension musicale est à elle seule une des composantes dramatiques, dans cette sequence. Cette première chanson met en avant plusieurs éléments de la narration. Elle met en exergue la présence de la femme dans un univers masculin et elle ramène le personage de Maréchal dans une caste social, ainsi que dans une situation. “Frou-Frou”  est associé au personnage de Joséphine (une femme que Maréchal doit voir mais qu’on ne verra jamais). Le spectateur peut dès lors comprendre que ce personnage appartient à la même classe sociale que Maréchal, elle peut être affilié à un univers volage de certains  quartiers d’Epernay. (Une remarque cependant quant à cette séquence. Lorsque Jean Gabin enclenche le phonographe c’est la voix d’un homme qui chante, alors qu’après quelques secondes c’est la voix d’une femme qui se fait entendre. Pourquoi cette interruption? Il semble que le disque saute pour que le spectateur puisse mieux entendre le dialogue, entre un soldat et Maréchal. Elle introduit  et souligne en meme temps le personnage de Boëldieu ).
Dans la séquence suivante Rauffenstein, et ses soldats, écoutent une valse de Strauss, provenant aussi d’un phonographe présent à l’image. Cette musique remplace l’univers de la chanson populaire Française de Maréchal à celle, plus “intellectuel”, de l’aristocratie allemande. Elle s’arrête soudainement lorqu’un homme arrive dans le plan avec au bras une couronne mortuaire. La musique s’interrompant, ramenant le spectateur et les personnages dans le contexte de la guerre.
    Si les deux univers sont d’abord confrontés et mis en parallèle, ils ne cesseront ensuite de se croiser et apporteront, de la même façon que les images, des éléments narratifs.
Les thèmes musicaux sont associés à des aspects précis du récit.
La musique tient une place prépondérante.
    Pour exemple, on entends et on voit l’évolution du personnage de Maréchal. Au début, il écoute « Frou-Frou », en attendant de voir Joséphine. Alors qu’à la fin, il se retrouve autour de la crèche, chez Elsa, pour les fêtes de Noël. Cela pourrait connoter un certain changement « moral ». Elsa semble se définir par sa sagesse, son côté maternel et non pas volage comme Joséphine. On passe de « frou-Frou » à une musique de Noël, un chant plus posé, rappelant les joies de la famille et d’un doux foyer. La musique deviendrait un moyen de nous faire entendre le changement des personnages, et de là, le film serait, pour Maréchal, un voyage initiatique.
    Elle devient aussi un élément qui unit les peuples entre eux. Comme dans les deux premières séquences citées au-dessus. Mais aussi à celle dites du « Music-Hall ». Les prisonniers se produisent sur scène, menés surtout par Cartier. Ils entonnent des chants populaires orchestrés, comme « Marguerite » repris en cœur par tous les spectateurs (Allemands, Anglais, Russes, Français…).  Le patriotisme reprend néanmoins le dessus quand les soldats français et leurs alliés britanniques chantent la Marseillaise, au milieu de la pièce de théâtre, quand Maréchal vient annoncer la libération de Douaumont. Le décalage entre le lieu et la solennité du chant renforce l’expression du patriotisme dans la scène. Il s’agit d’allier action et émotion, c’est pour cela que Joseph Kosma en charge de la musique, “participe à l’esthétique du film”. Cette séquence devient un lien entre le Cinéma et l’Art, celui de la musique et du spectacle. La chanson étant la première manière de passer du muet au parlant.
    La musique sert, une nouvelle fois, le récit, par le biais d’un des thèmes les plus récurrents du film: l’évasion.
Les deux exemples les plus probants sont ceux de la séquence où Jean Gabin se retrouve au cachot après avoir chanté la Marseillaise; et l’autre lors de la mutinerie dans le camp de Alsheim.
Dans le premier, Maréchal se voit offrir un Harmonica par son géôlier, qui lui donne afin d’apaiser son angoisse d’être enfermé. Cet Harmonica devient un instrument d’évasion, non pas à proprement parlé mais bien comme un échappatoire à l’isolement et à l’enfermement.
Dans le deuxième exemple, la musique apparaît comme un instrument d’évasion. En effet par le biais d’une flûte, le Capitaine de Boeldieu  permettra, au péril de sa vie, à Rosenthal et Maréchal de s’enfuir du Camp d’Alsheim. En fredonnant l’air de “Il était un petit navire”, il accapare l’attention des soldats. Ainsi, les deux hommes pourront s’échapper sans mal.
   On peut remarquer que la musique à une forte connotation, en tant que personnage féminin, ou du moins rappelle souvent sa présence, son image. La femme, restée au foyer, attendant que son mari rentre. L’homme désireux de retrouver sa compagne,  se languit de sa présence, de sa voix…
La présence de la femme dans le film est très fortuite, elle apparaît le plus souvent dans les dialogues, entre les personnages masculin, qu’à l’écran. Sûrement pour souligner que la guerre est l’affaire des hommes.
Une scène marque cette absence féminine. Lorsque Rosenthal reçoit un coffre de Paris, rempli de vêtements de femmes. Chacun s’émoustille d’un bas, d’une chaussure ou bien d’une robe, imaginant les courbes féminine et son odeur.
Un des soldats essaye une robe et une perruque pour s’amuser. Silence.
« Ca fait drôle ! » dit il alors. On se demande, à ce moment là, si les autres soldats ne vont pas se jeter sur lui… Cette scène ne peut être appuyée, ni accompagné, par une musique. Si cela avait été le cas, la tension dramatique aurait eu beaucoup moins d’impact sur le spectateur. Même si nous parlons de musique, il est important d’entendre des silences qui à leur tour augmentent le pouvoir narratif du film.
Dans la séquence du Music Hall, la musique n’a plus à souffrir de cette tension. Ce qui était d’abord un homme déguisé en femme, laisse place au déguisement collectif. Ce qui est supposé détendre les prisonniers se voit être un spectacle digne des folies bergères, à la place de belles jeunes femmes, des hommes travestis. Le fantasme devient spectacle, lieu de toutes les possibilités d’imaginations, mis en scène par Cartier voulant retrouver et conquérir sa « Marguerite ».


  L’orchestration de Joseph Kosma participe à la temporalité et la spatialité de l’histoire. Lorsque les prisonniers sont transférés dans le premier, puis dans le second camp, nous voyons un long travelling latéral droit et nous entendons une musique « accompagnant » le mouvement de caméra. Celle-ci extradiégétique, c’est-à-dire hors de l’espace de l’histoire, souligne la transition spatiale et temporelle, dans un autre lieu et dans un autre temps. Ici Renoir et Kosma insiste sur le temps du récit (déplacement des prisonniers vers les camps) et permet de diviser le récit en 4 parties : L’introduction, le premier camp, le deuxième camp et chez Elsa.
Se crée une fluidité et une continuité narrative, nous passons d’une partie à une autre sans coupure nette.
Comme nous l’avons dit plus haut, C’est un film sur la guerre ne montrant jamais sa dure réalité. Le cadre de l’écran nous limite à la vision du camp, des cellules… L’imagination du spectateur fait vivre se hors champ. Par des indices narratifs, dont la musique et les sons, on nous ramène à cette guerre.
Dans plusieurs scènes on nous fait entendre la guerre. Non pas par des bombardements, des sons de mitraillettes ou par des avions… Mais par les tabourins, par les flûtes, par « le bruit des pas » et par l’hymne du Reich Allemand « au Wacht am Rhein” ». Les sons et la musique participent, au même titre que les dialogues, à la matérialisation de la guerre.
La bande sonore du film est « une ambiance sonore propre à la vie », ce qui crée un réalisme beaucoup plus fort. Renoir décide de montrer le plus souvent la source du son émanant d’une action d’un des personnages. Lorsque Maréchal enclenche le phonographe, il (Renoir) veut, selon M. Chion « marquer la présence du personnage par le sceau du réalisme».

      La grande illusion est une œuvre cinématographique mais aussi musicale. Sa bande sonore augmente le pouvoir narratif, elle oscille entre complémentarité et indépendance. L’intéraction est indéniable, le son trouve sa justification.
Car à cette époque il est difficile de justifier la présence d’une musique. Effectivement l’arrivée du parlant amène une utilisation de musique d’accompagnement, la bande sonore n’est plus que le reflet de l’orchestre de fosse.
Le cinéma s’approprie et se munie, avec l’arrivée du parlant, d’une valeur supplémentaire qui la caractérise comme un art dans son ensemble. L’image et le son évoluent au fil du temps et de l’histoire du cinéma. Leurs valeurs se juxtaposent, se théorisent et se diversifient.
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